Interview de Jean-Christophe Lagarde
Le fait que vous soyez élu d’une circonscription où les questions de logement et de bâtiment sont plus importantes qu’ailleurs est-il à l’origine d’une stratégie « délibérée » pour être audible sur ce secteur ? Comment avez-vous fait pour vous approprier ce sujet ?
« Non ce n’est pas une stratégie, seulement une évidence. Les problèmes de logement sont très importants dans ma circonscription, qu’il s’agisse du nombre de demandeurs, de la qualité des logements sociaux et de leur nécessaire rénovation ou encore de la lutte contre les marchands de sommeil qui font leurs choux gras de la crise du logement qui dure depuis plus de 15 ans. Or, une famille mal logée cumule les handicaps que ce soit pour l’accès à l’emploi, la santé, la réussite des enfants à l’école et bien sûr du point de vue financier. J’ai été maire de Drancy pendant plus de 16 ans, et j’ai pu appréhender toutes ces problématiques de façon très concrète, analyser les carences, élaborer des solutions pratiques ; hélas pas toujours entendues par les technocrates du logement. Par exemple, on pourrait facilement augmenter l’accession sociale à la propriété et donc dégager des fonds pour la construction et la rénovation. On devrait être bien plus rigoureux sur l’adaptation obligatoire de la taille du logement HLM avec la composition de la famille, neutraliser le coût du foncier dans les villes les plus chères pour garantir la mixité sociale ; dans le même but, l’article 55 de la loi SRU devrait obliger les villes à diversifier le type de logements sociaux pour éviter les ghettos de riches comme les ghettos de pauvres. Et tant d’autres choses encore. Malheureusement, la loi « ELAN » est une occasion ratée qui ne produira pas les effets attendus, alors qu’on aurait pu progresser plus vite pour la construction des logements, la rotation des occupants, la mixité sociale (même pas abordée), ou encore la rénovation énergétique. »
Avec plus de 100 000 followers, vous êtes très audible sur Twitter. Comment utilisez-vous les réseaux sociaux, et plus généralement les médias, pour défendre vos positions ?
« Je tweete régulièrement des éléments de réflexion (repris sur Facebook) tout en conservant une grande méfiance quant à ces réseaux sociaux qui, bien trop souvent, sont envahis par des émotions déraisonnées, la propagande des extrêmes ou le défouloir de quelques personnes qui ne s’informent même pas. Mais c’est un instrument que j’essaie d’utiliser (malgré des messages courts) pour inciter nos concitoyens à aller s’informer et à regarder au-delà de l’information spectaculaire et commerciale dont on nous bombarde. Bref à inciter à regarder les problèmes et solutions sous un autre angle en essayant de prendre tous les aspects en considération. En ce qui concerne les médias, ils sont indispensables pour toucher le plus grand nombre, mais ils pratiquent une réduction simplificatrice outrancière qui, le plus souvent, empêche les citoyens de bien saisir tous les enjeux et donc nuit à la démocratie. Une réflexion construite est moins entendue qu’un coup de gueule excessif ; forcément, cela fait moins vendre. Pour un sujet comme le logement, qui est complexe et technique par nature, il est tellement plus facile d’émouvoir sur une famille en cours d’expulsion parce qu’elle n’a pas payé ses loyers que d’expliquer que les freins à l’expulsion pour faute conduisent à un prix des loyers trop élevé pour tout le monde, car nombre de propriétaires conservent leurs biens sans les louer, seulement par peur. On peut les taxer, mais ça n’enlèvera pas la peur, car se faire avoir par un locataire coûte beaucoup plus cher qu’une taxe… »
Vous avez été élu Député pour la première fois en 2002, cette ancienneté vous aide-t-elle à faire peser vos opinions à l’Assemblée ?
« Oui bien sûr. D’abord, je préside mon groupe parlementaire, j’ai un accès plus facile aux médias que les députés qui viennent d’arriver, les ministres font donc plus attention quand je fais des propositions, même si je regrette que, trop souvent, ils se laissent dominer par leur administration. Mon expérience de terrain, notamment de maire, me donne un point de vue plus large que nombre de collègues qui n’ont pas eu ce parcours. Ils connaissent bien ce qui relève de leur domaine professionnel, mais n’ont pas eu l’occasion de se confronter à la diversité des situations, des problématiques que rencontrent nos concitoyens. En ce sens, la loi sur la fin du cumul était une erreur. Maintenant, il ne faut pas raconter d’histoire, dans la genèse de la Vème République on a fait détester le Parlement aux Français. Et tous les Gouvernements en rajoutent régulièrement une couche. Du coup, ce n’est pas le Parlement qui fait la loi, mais les conseillers ministériels sous influence de leur administration. Le poids d’un député ou même de toute l’Assemblée doit être grandement relativisé. Avec le quinquennat et l’élection simultanée du chef de l’État et des députés, nous avons aggravé les choses et créé un problème institutionnel majeur en concentrant trop de pouvoir dans les mains du chef de l’État sans contre-pouvoir en face. Alors même qu’un homme seul ne peut pas s’occuper de tout, même si nous adorons rêver à un sauveur. Et cela génère des excès et des inefficacités. Nous l’avons encore constaté avec le projet de loi « ELAN » où il est, par exemple, excessif de vouloir regrouper les bailleurs sociaux sans véritable logique stratégique et où on a refusé de s’occuper efficacement des squats de halls d’immeubles qui pourtant pourrissent la vie de millions de Français depuis près de 20 ans. »
Octobre 2018